J’ai ouvert le Traité d’Harmonie de Charles Koechlin et y ai redécouvert un Avant-propos absolument GENIAL ! Ecoutez-ça !
Transcription de la vidéo
Je ne pense pas que les bons musiciens contestent l’utilité des études d’harmonique.
En vain prétendraient-on que les accords n’existent pas, qu’il n’y a dans la musique que mouvement de parties, et chez l’auditeur qu’audition horizontale.
C’est une nécessité de l’oreille au contraire, que d’interpréter les sonorités simultanées par l’audition verticale et d’affirmer la signification d’un passage sur ses repères, les accords.
D’ailleurs, l’importance d’une bonne basse n’est pas niable.
En définitive, l’oreille entend à la fois des mouvements contrapuntiques et des harmonies.
En outre, l’expérience acquise nous mène à conclure que l’étude de l’harmonie doit précéder celle du contre-point et de la fugue.
Elle est précieuse à divers égards :
- D’abord à l’habitude des élèves, aujourd’hui naturellement enclin dès leur début, à des combinaisons ultra dissonantes, et l’habitude des élèves aux accords qu’employèrent les maîtres et leur montrent, s’ils savent comprendre, que ces accords ne sont point les vocables d’une langue morte, que la beauté de cette langue est toujours vivante, et qu’avec elle on peut réaliser de la musique même personnelle.
2. Cette étude aide au développement de l’imagination harmonique, comme celle du contre-point, favorise l’intuition qui crée de souples mouvements mélodiques.
Il ne faudrait point croire que ces facultés fussent innées ou du moins qu’elles ne puissent gagner à la culture d’une solide technique.
Celle-ci n’a jamais nuit, au contraire, à la personnalité. Elle aide à découvrir l’orée de nouveaux chemins.
Il est bon que l’élève s’exerce à entendre dans sa tête.
Il est nécessaire pour lui de concevoir des tonalités nettes, de savoir dire sa pensée clairement et d’éviter toute platitude comme toute maladresse.
On doit être capable de réaliser une œuvre sans étroitesse, sans pédantisme, mais purement et groupant les sons avec plénitude, de se garder des heurts inutiles.
On pourra toujours plus tard écrire d’âpres dissonances. Au demeurant, il est plus facile d’y parvenir qu’à l’harmonieuse pureté de l’ave verum de Mozart.
Une bonne harmonie est absolument obligée dans le contre-point et dans la fugue.
Les mouvements des parties doivent toujours reposer sur les bases musicales et constituer des enchaînements harmonieux.
On peut même infirmer que c’est dans le style contre-apuntiques surtout que les accords ont besoin d’être nets et clairs à cause précisément de la complexité des parties qui s’entre-croisent.
4. Ajoutons en passant qu’il est très salutaire d’avoir pratiqué sérieusement et de connaître à fond l’harmonie consonnante, celle des accords parfaits. C’est divers d’ailleurs lorsqu’on sait l’utiliser. Les ressources du diatonique, grâce aux accords parfaits de divers degrés, enrichies de mouvement contre-apuntiques et de rythmes vivants, sont quasi-infinies. Mais cette étude exige une singulière finesse d’oreille. La musicalité ne résultant pas de l’obéissance aux règles, laquelle n’est point suffisante. On verra plus loin que dans la composition libre cette obéissance n’est pas plus nécessaire que suffisante. Affaire non de science, mais d’intuition musicale, d’inventions. (0:03:50) l’a fort bien dit :
Il faut autant de génies pour créer de belles harmonies que pour créer de belles mélodies.
5- Quant à la discipline provisoire que s’imposera l’élève, nous aimons à croire qu’il ne regrettera point de s’y être soumis, entrainement salutaire auquel il gagnera d’éviter la monotonie d’un maladroit amateurisme et d’acquérir la souplesse d’écriture, l’aisance, la sûreté du style, et cette variété même de pensées qu’une entière liberté précoce n’aurait point favorisé. Sans doute, après avoir fini le traité, il lui sera nécessaire de savoir oublier certaines règles spéciales à ces sortes d’ouvrage. C’est à quoi le mènera la fugue, s’il la pratique avec un esprit suffisamment large.
Rien ne lui sera plus aisé d’ailleurs que d’incliner à sa guise vers des combinaisons dissonantes, polytonales, atonales même.
Comme ses moyens sont dans l’air, il n’est pas à craindre qu’un jeune musicien les ignore, dussions nous n’en parler que brièvement.
D’ailleurs, les ayant pratiqués dans plus d’une œuvre, nous ne saurions paraître suspects de malveillance à cet égard.
Mais nous conseillons de savoir aussi connaître la richesse du vocabulaire consonant.
Puissions-nous avoir montré dans nos séries de chorales accappella, comme également par les leçons du présent traité, que ce style consonant ne s’oppose point à la vraie musique.
Disons tout de suite que ces règles ne sont pas des dogmes infaillibles.
La prohibition absolue des quintes successives n’est pas plus raisonnable dans la musique libre que celle des fausses relations ou que l’obligatoire préparation des dissonances. En pareille matière il n’y a point de dogme, le nombre de licences est infini, et les exceptions confirmant la règle se font si nombreuses que l’on se demande parfois si ces règles existent.
Au moins, voyons en elle une convention toujours utile à l’école, la règle du jeu. Entrainement auquel se doivent soumettre la plume et le style de l’élève.
Toutes ces interdictions forment des obstacles qu’il faut savoir franchir avec grâce.
Elles procurent, nous l’avons dit, la souplesse et la variété du style.
Insistons dès à présent sur ce point, si les règles de l’harmonie vous semblent violées, et elles le sont en effet, par maintes chefs-d’œuvres indiscutables et d’ailleurs réellement traditionnels, ces règles sont profitables, pour ne pas dire absolument nécessaires à l’élève qui veut travailler sérieusement.
Les transgresser dès le début conduirait à de monotones mouvements parallèles.
L’entière liberté que l’on s’attribuerait, on ne saurait en user. On ne saurait user alors que maladroitement.
Ce fait d’expérience n’est pas contestable.
A vrai dire, il existe une infinité de style et ceux des leçons d’harmonie qui visent surtout au charme, ne sont pas les seuls qu’on puisse admettre.
Autant de musiciens, je dirais même autant d’œuvres, autant de styles différents.
Mais chercher un style joli, est-ce chose répréhensible ?
Le charme est-il donc forcément mièvre ?
Lorsqu’on aurait vu un Claude Debussy, un Gabriel Faué s’immortaliser par des œuvres à la fois séduisantes, profondes et fortes, on comprend la haute beauté du charme de Douce France.