Avez-vous déjà remarqué que certaines musiques semblent sonner faux mais pourtant résonnent d’une beauté surnaturelle ? (extrait 1 et 2)
Ou encore que certains accords semblent légèrement dissonants (avec une sensation de flottement) alors qu’on est parfaitement accordé ? (extrait 3)
Le secret de cette curiosité réside dans un des concepts les plus fascinants : les tempéraments musicaux !
Voici 3 courts extraits qui vous mettront dans l’oreille ce dont on va parler ici 👇
Extrait 1
Extrait 2
Extrait 3
OK, fascinant en effet ! Mais…
…c’est quoi un tempérament musical ? 🤔
C’est un système d’accord. Une manière subtile d’ajuster les intervalles d’une échelle musicale dans le but d’atteindre le meilleur équilibre entre pureté harmonique et jouabilité.
Plus précisément :
Un tempérament (du latin “temperare” : organiser, modérer) désigne n’importe quel système d’accord qui équilibre les fréquences des intervalles d’un instrument à hauteur fixe (tel qu’un piano ou une guitare) – généralement afin de rendre un maximum d’intervalles les moins dissonants possible. L’objectif initial d’un tempérament est de permettre à un maximum de tonalités d’être suffisamment musicales, notamment pour faciliter la modulation. Dans l’essence, un tempérament est un compromis.
Disons que c’est un peu comme les filtres Instagram qui donnent aux photos leurs couleurs uniques. On perd en pureté mais on gagne en équilibre.
Pour les plus graphistes d’entre vous, un tempérament est comparable à un espace colorimétrique ou un LUT. Comme pour les LUTs, les tempéraments vont favoriser des associations de couleurs – Couleurs visuelles pour les LUTs/filtres insta, couleurs harmoniques pour les tempéraments.
Selon les tempéraments, deux notes qui étaient dissonantes jusqu’ici s’accorderont bien mieux… ou bien pire ! Comprenez par là que les tempéraments rebattent les cartes des rapports d’harmonie avec lesquels vous avez l’habitude de jouer aujourd’hui.
Selon le tempérament que vous utilisez,
- Do♯ peut sonner très différemment de Ré♭
- une tierce majeure peut devenir PLUS consonante qu’une quinte juste
- Une simple transposition peut donner des couleurs très exotiques
- La modulation peut être facilité ou au contraire rendue impossible
- le triton peut même devenir un intervalle relativement consonant 😯
Bref, c’est vraiment un autre monde ! On parle en fait de système d’accord – ou d’accordage, plus simplement.
Et pourquoi cette guitare est toute tordue ?
Alors ! C’est une question intéressante et pour y répondre, je vais devoir clarifier un peu les choses…
Les guitaristes c’est le moment de faire attention à ce qui va suivre 🤓
Quand je dis “système d’accord” je ne parles ici ni des accords (majeur, mineur, …) ni des accordages “de jeu” (standard, drop, open ou dadgad que l’on trouve parfois sur les guitares) mais bel et bien de l’accordage entre les intervalles eux-mêmes !
Une guitare tempérée ajuste l’espacement des frettes entre-elles, comme sur l’image.
D’ailleurs, pour la petite histoire, avant d’utiliser des frettes en métal directement incrustées sur le manche, les luths possédaient des frettes en boyaux qui entouraient le manche comme un collier. Ceci permettant au musicien de faire glisser avec précision les frettes justement pour régler le tempérament souhaité.
Et pour répondre à la miniature de cet article, les étranges frettes toutes tordues sur le manche de la guitare ont été conçue et placées de manière à corriger le tempérament habituel de la guitare – eh oui, même sans le savoir nous utilisons tous un tempérament ! Le plus habituel c’est celui-ci : le tempérament égal).
En particulier sur cette photo, la guitare est accordée dans un tempérament qu’on appelle “Juste intonation”.
Chaque tempérament à sa couleur
Chaque système offre un compromis unique entre la pureté des intervalles et la flexibilité du jeu.
Bien évidemment, certains tempéraments colleront mieux à certains types de musique que d’autres. De la même manière qu’un certain type de filtre insta collera mieux à un certain type de photo…
Commencez-vous à entrevoir les possibilités artistiques, pour nous autres compositeurs ? 😉
Et voilà que vous avez ouvert la boîte de Pandore de la “microtonalité”. C’est fascinant de voir comment un simple ajustement dans la façon dont les notes sont accordées peut transformer totalement la texture sonore d’une pièce musicale.
Historiquement, les tempéraments ont été développés au fil des siècles comme une solution aux imperfections des systèmes d’accord naturels – telle que la gamme de Pythagore, qui peut produire des intervalles très purs pour certaines harmonies mais entraîner des dissonances dans d’autres contextes en raison de l’incompatibilité des fréquences.
L’idée derrière le tempérament est de “tempérer”, c’est-à-dire modérer ou ajuster ces intervalles pour qu’ils puissent être utilisés de manière plus flexible dans différentes tonalités sans introduire de tension harmonique excessive. Cela permet aux musiciens de moduler entre les tonalités avec plus de facilité et produire un son plus cohérent entre elles (sur les instruments à hauteur fixe, comme le piano, la harpe ou la guitare).
Le Graal de la flexibilité, c’est le tempérament égal, le système le plus utilisé aujourd’hui.
Malheureusement, en occident la suprématie du tempérament égal a totalement éclipsé la richesse et la subtilité des différents tempéraments historiques.
Il serait intéressant de redécouvrir ces traditions et d’explorer les approches modernes des tempéraments, non ?
Pourquoi ne pas plonger dans le trou du lapin et redonner vie à cette diversité harmonique oubliée, avec votre musique ?
D’autres articles sur cette thématique viendront bientôt enrichir ce site. Si vous avez des sujets en particulier que vous aimeriez voir à ce propos, RDV dans les commentaires pour me le dire 😁
En attendant, je vous propose d’écouter quelques superbes morceaux qui explorent des tempéraments alternatifs !